Jean-Paul Simier : « La planète a faim de viande »

16 novembre 2015
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Jean-Paul Simier est agronome et économiste il est directeur « agriculture et agroalimentaire » à Bretagne Développement Innovation (BDI) et Co-auteur du rapport annuel sur les marchés mondiaux des matières premières, et notamment rédacteur du chapitre «viandes» au Cercle Cyclope.

 

Comment percevez-vous l’évolution de la demande mondiale de viandes ces dernières années ?

La planète alimentaire change à toute vitesse ! Depuis plusieurs décennies, nous assistons à une véritable explosion de la consommation de viandes !

 

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Juste quelques ordres de grandeur : depuis 1950, la consommation et donc la production de viandes a quintuplé. Nous sommes ainsi passés de 60 millions de tonnes à 320 millions de tonnes en 2015. Plus près de nous, en seulement 25 ans, c’est-à-dire depuis 1990, la production a tout simplement doublé ! Et les prévisions les plus raisonnables, notamment celles de la FAO indiquent encore une augmentation de 50% d’ici à 2050 (soit plus 150 millions de tonnes, ou 3 fois la production européenne actuelle !).

 

La planète a faim de viandes. Cette croissance est tout simplement portée par l’expansion démographique mondiale et le développement économique des pays dits « en développement » et notamment des émergents asiatiques. Aujourd’hui la consommation de viandes stagne voire baisse dans les « vieux pays occidentaux développés »(Europe, Amérique du nord), mais augmente dans les pays en développement.

 

La consommation de viandes est d’ailleurs majoritaire dans ces pays, depuis le début des années 2000. Ce sont les viandes blanches qui font la croissance et notamment la volaille, véritable viande planétaire du XXIème siècle. Elle dépassera bientôt la viande porcine, comme première viande produite. Cette demande suscite le développement des échanges internationaux de viande qui représentent encore à peine 10% de la production mondiale, soit 31 millions de tonnes. La volaille est désormais en tête après avoir détrôné le bœuf qui fut longtemps la première viande échangée.

 

Depuis le milieu des années 2000, les prix mondiaux des viandes se sont fortement appréciés, sous l’effet de cette faim de viande des nouveaux consommateurs.

 

Dans ce marché mondialisé, les filières françaises peuvent- elles avoir une place ? Et à quelles conditions ?

 

JPS : La France a une grande tradition d’élevage, et notamment pour toutes les viandes, tant à base d’herbe (bovine et ovine) que de grains (porc et volaille). Sur la base d’un grand territoire agricole, elle détient des filières viandes de grande technicité, à tous les niveaux : élevage, transformation industrielle et artisanat des métiers de bouche (bouchers, traiteurs…).

 

L’Ouest français, le territoire de Valorial (Bretagne, Basse-Normandie et Pays de la Loire) pèse plus de la moitié de la production française de viandes (dont Bretagne : 36%). Mais depuis plusieurs années, les filières françaises de la viande souffrent : recul important dans la volaille tant à l’export que sur le marché national, faible rentabilité de la viande bovine, et désormais une filière porcine en perte de compétitivité à l’échelle européenne…. Difficultés qui sont encore accentuées par l’embargo russe depuis 2014.

 

Pourtant la demande à l’exportation existe, notamment vers l’Asie, où d’autres européens font mieux que la France en 2015 (Allemagne, Espagne, Danemark….). Et donc la France peut prendre une petite part de cette croissance, dans des volumes raisonnables. Ce qui pourrait amener de l’oxygène aux opérateurs qui souffrent sur un marché intérieur difficile.

 

Nous avons des atouts en termes de production, mais aussi de sécurité sanitaire et de qualitédes produits, notamment auprès des nouveaux consommateurs des pays émergents qui apprécient le « made in France ». A l’image du succès du lait infantile pour la Chine, nous pouvons vendre des viandes totalement sécurisées (sans hormones ou bêta-agonistes, peu d’antibiotiques, absence de résidus chimiques, clean label ….) à des consommateurs très inquiets par les méthodes de production de leur pays (scandales des viandes frelatées en Chine).

 

« D’autres variables de compétitivité prennent de l’importance : cleanlabel, sécurité sanitaire, qualité.« 

 

V : Quelles sont, selon vous, les priorités et les leviers en termes d’innovation pour pouvoir rester compétitifs sur ces marchés ?

 

La compétitivité-prix n’est plus aussi déterminante que dans les années 1990, du fait d’une assez forte revalorisation des cours internationaux depuis une décennie. Même si elle reste forte.

 

D’autres variables de compétitivité prennent de l’importance. C’est tout d’abord la sécurité sanitaire du produit viande. Depuis toujours, par sa nature particulière (produit difficile à conserver), les viandes font l’objet de multiples précautions (maladies animales, modes de conservation….). L’histoire du commerce international est d’ailleurs émaillée d’incidents et d’évènements qui ont occasionné des restrictions voire des fermetures prolongées au commerce (fièvre aphteuse, ESB, grippe aviaire, peste porcine, hormones…).

 

S’insérer dans le commerce international consiste déjà à obtenir et conserver les multiplesagréments et certificats vétérinaires nationaux. Ensuite, la praticité du produit adapté aux nouveaux usages alimentaires est déterminante : hamburger ou steak haché plutôt que viande brute, charcuterie plutôt que simple viande, jambon dans une pizza plutôt que tranche élémentaire….

 

Le marketing et l’emballage montent en puissance. Enfin, l’image du produit vient sans doute en troisième position. Pourquoi le bœuf américain est-il plus apprécié aujourd’hui au Japon que le bœuf européen ? Pourquoi le foie gras français est-il régulièrement contesté en Californie et de plus en plus consommé au Japon ? Ou pourquoi les jambons secs espagnols ou italiens (Serrano, Parme, Pata Negra…) se vendent plus chers que le jambon cuit français ?

 

La viande n’est pas un produit alimentaire neutre. Dans chaque culture nationale, elle fait l’objet de prescription, voire d’interdiction (religieuses notamment ou désormais environnementales)…, de préférence, de recommandations ou de défiance…. La viande est plus qu’une protéine animale, c’est un mode de vie. Et dans la mondialisation qui vient, c’est une dimension essentielle.