Les scandales alimentaires accentuent-ils le rejet de la viande ?

20 novembre 2015
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Léon Guéguen est Directeur de recherche honoraire de l’Inra, ancien directeur du Laboratoire de nutrition et sécurité alimentaire du Centre de recherches de Jouy-en-Josas, membre de l’Académie d’agriculture de France, administrateur de l’Institut Français pour la Nutrition et rapporteur à l’Afssa.

 

Qu’entend-on par végétarisme ?

 

Léon GUEGUEN : Il existe plusieurs degrés de végétarisme, dans un ordre croissant d’exclusions : le semi-végétarisme, qui n’exclut que la viande de mammifères mais accepte le lait, les œufs, le poisson et parfois la volaille, et qui est nutritionnellement équilibré sous condition de variété alimentaire ; le lacto-ovo-végétarisme, qui accepte le lait et les œufs et interdit viande et poisson ; le végétalisme qui n’admet que les aliments d’origine végétale ; et enfin des formes plus restrictives de végétalisme dit macrobiotique ou à base de fruits. En France, le végétarisme au sens large concernerait environ 2 % de la population.

 

Quelles raisons peuvent pousser à supprimer la viande de son alimentation ?

 

LG : Les raisons invoquées sont nombreuses. On y trouve d’une part les interdits religieux(surtout sur le porc) ainsi que les considérations éthiques (respect de la vie de l’animal et de ses conditions de vie) ou philosophiques, qu’il sera difficile de discuter car ces raisons ne reposent pas sur des bases rationnelles.

 

D’autre part, d’autres préoccupations d’ordre écologique ou économique sont soulevées. Il est vrai que la production des aliments d’origine animale est fortement consommatrice d’énergie et d’eau, jusqu’à 5 ou 7 fois plus que la production végétale.

 

Par ailleurs, il est souvent invoqué que les céréales utilisées pour nourrir les porcs ou les volailles pourraient contribuer à lutter contre la faim dans le monde.

 

Enfin, on notera que le renoncement aux produits animaux est parfois simplement dicté par deslimites budgétaires.  On distinguera d’ailleurs le végétalisme « subi », imposé par la pauvreté qui touche une grande partie de l’humanité, du végétarisme « choisi » dans les pays aisés où la diversité des produits limite le risque de carences et où il est possible de bénéficier de compléments alimentaires.

 

Pensez-vous que les scandales alimentaires peuvent pousser à plus de végétarisme ?

 

LG : Il va de soi que les scandales alimentaires, les uns sanitaires (vache folle, dioxines…), d’autres de nature frauduleuse mais sans risque pour la santé (viande de cheval), accentuent le rejet de la viande chez les consommateurs indécis et favorisent la conversion au végétarisme. Les motivations d’ordre psychologique, plutôt irrationnelles, sont donc importantes.

 

Dans le cas de l’affaire de la viande de cheval, les conséquences ne devraient concerner que les plats industriels préparés et surgelés, mais pas la viande tracée, en morceaux et facilement identifiable.

 

Quels éléments trouve-t-on exclusivement  dans la viande ?

 

LG : On évoque souvent le problème de l’apport protéique, pourtant il ne s’agit pas d’un problème majeur si les protéines sont apportées par les produits laitiers et les œufs, ou un vaste choix de protéines végétales.

 

Le principal intérêt de la viande est de fournir de la vitamine B12, absente dans les végétaux. Par ailleurs, le fer héminique (d’origine exclusivement animale) est 4 à 5 fois mieux absorbé que le fer des végétaux, tout comme le zinc (huîtres, abats) qui est plus disponible que celui trouvé dans les graines notamment.

 

Les différents régimes végétariens comportent-ils des risques pour la santé ?

 

LG : Plus le régime exclut de produits, plus il y a de risques de carences. Le régime semi-végétarien peut parfaitement constituer un régime équilibré.  Lorsqu’il y a une absence totale de viande, les végétariens sont souvent touchés par une carence en vitamine B12, à l’origine de troubles allant de l’anémie aux dommages neurologiques graves.

 

Une étude allemande a montré que 60 % des végétariens avaient une carence de stade 3 en vitamine B12. Cette carence étant souvent associée à un manque de fer héminique, l’anémie est très fréquente chez les femmes végétariennes.

 

Les formes extrêmes de végétarisme, souvent à tendance sectaire, font courir de très gros risques pour la  santé (anémie mégaloblastique sévère, retards de croissance, carences en iode, en zinc et en acides gras essentiels), notamment chez les enfants.

 

Y a-t-il des risques supplémentaires pour les enfants ?

 

LG : Les risques sont les mêmes que pour les adultes, à savoir les carences en fer et en vitamine B12dans le cas du végétarisme (avec lait, œufs). Bien sûr, le végétalisme strict est  particulièrement problématique pour les enfants car le risque de carence en calcium est très élevé en l’absence de lait ou produits laitiers.

 

Certains substituts à base de soja ne sont pas enrichis en calcium et la présence d’acide phytique diminue fortement la biodisponibilité de celui-ci. Certaines boissons à base de jus d’amande sont plus riches en calcium mais ne peuvent remplacer le lait tous les jours…

 

L’éviction des produits laitiers, des œufs et des poissons provoque aussi une déficience en iode chez les très jeunes enfants (goitre), ainsi qu’en dérivés essentiels des acides gras oméga 3.

 

Qu’en est-il des apports calciques chez l’adulte végétarien ?

 

LG : Le problème des apports en calcium se pose pour les personnes ayant renoncé au lait et aux produits laitiers. Un régime de base sans produit laitier ne peut pas fournir régulièrement, sauf choix systématique des quelques rares aliments ou eaux minérales riches en calcium, plus de 500 mg de calcium par jour, alors qu’il en faudrait au moins 800 mg, voire plus de 1000 mg chez les adolescents, les femmes ménopausées et les personnes âgées. L’argument selon lequel le calcium du lait augmenterait la perte urinaire de calcium et serait donc inefficace pour l’os est grossièrement faux.

 

Le régime végétalien strict permet donc difficilement de couvrir les besoins calciques, d’autant que le calcium des végétaux est, contrairement à ce que d’aucuns proclament, plus mal absorbé par l’intestin que le calcium du lait.

 

Dans un contexte de maladies cardiovasculaires et autres maladies liées à l’alimentation, l’exclusion de la viande ne serait-elle pas un début de réponse ?

 

LG : En effet, l’exclusion de la viande est de plus en plus souvent considérée comme étant bénéfique pour la santé. Bien qu’il existe peu d’études épidémiologiques fiables à ce sujet, la diminution de la viande est évoquée pour diminuer la cholestérolémie, la tension artérielle et le poids. Elle serait aussi indiquée en cas de troubles cardiaques, de diabète de type 2, de cancer colorectal (lié à un excès de viande rouge).

 

Un régime excluant le poisson ne risque-t-il pas de provoquer un déséquilibre oméga 3 /oméga 6 ?

 

LG : Les poissons gras (saumon, maquereau…) sont une bonne source d’acides gras insaturés oméga 3. Si le régime végétarien exclut le poisson et fait la part belle aux noix, graines et huiles, il existe un risque de déséquilibrer le rapport oméga 3 / oméga 6 menant à la diminution de l’efficacité des oméga 3 (compétition entre les deux types d’insaturés). Toutefois, des sources végétales bien choisies d’acides gras oméga 3 (huile et graine de lin, huile de colza…) suffisent à exclure tout risque de carence.

 

Les recommandations officielles vont-elles dans le sens du végétarisme ?

 

LG : Le Programme National Nutrition Santé recommande, pour équilibrer son régime alimentaire, de consommer des viandes et volailles, produits de la pêche et œufs 1 à 2 fois par jour, et des produits laitiers 3 fois par jour.

 

Par ailleurs, il est vrai que l’accent est mis sur la nécessité de consommer au moins 5 fruits et légumes par jour, notamment pour les effets bénéfiques des fibres et des molécules antioxydantes. Ces effets favorables font l’objet d’un consensus, malgré la présence tant décriée de résidus de pesticides. Or le repère de consommation de 5 fruits et légumes est loin d’être respecté : la proportion de petits consommateurs (c’est-à-dire de personnes mangeant moins d’une portion et demie de fruits et moins de deux portions de légumes par jour) est supérieure à 80 % pour les moins de 25 ans ! Les efforts de communication sont donc naturellement axés dans ce sens.

 

Les effets bénéfiques du végétarisme ont-ils été démontrés scientifiquement ?

 

LG : Les études épidémiologiques n’ont, en tout cas, pas permis de mettre en cause le végétarisme dans l’augmentation du risque de morbidité. Pour la mise en évidence d’un effet bénéfique du végétarisme, se pose le problème des biais liés aux différences de comportement et d’hygiène de vie. Les végétariens, et plus encore les végétaliens, sont particulièrement attentifs à leur santé et optent pour un mode de vie plus hygiénique que la plupart des omnivores : pas de tabac, peu ou pas d’alcool, moins d’excès alimentaires… Cela conduit à diminuer les risques d’obésité et d’hypertension. Les résultats favorables observés ne sont donc pas tous directement imputables aux aliments consommés. Ils dépendent aussi largement du mode de vie plus sain qui les accompagne. Un régime omnivore accompagné des mêmes règles d’hygiène de vie, pourrait vraisemblablement donner des résultats similaires.

 

Propos recueillis par Clarisse LEMAITRE pour la Live Nutrition Santé n°66 de février 2013.

Pour en savoir plus : Guéguen L. (2008). Omnivore, végétarien, végétalien? Sciences et pseudo-sciences (AFIS), 283, 49

Illustration par Steve Johnson Flickr sous licence creative commons