Pourquoi consommons-nous de la viande ?

19 novembre 2015
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Jacques MOUROT est Directeur de Recherche à l’Unité Mixte de Recherches Système d’Elevage, Alimentation Animale et Humaine à l’INRA de Saint-Gilles.

Pourquoi consommons-nous de la viande ? Quels nutriments intéressants apporte-t-elle ?

 

Jacques Mourot : De préleveurs de petit gibier ou récupérateurs de carcasses, les hommes sont devenus chasseurs pour consommer la viande et la moelle des os. Au fil du temps cette activité a pris de plus en plus d’importance, au point de qualifier l’homme sur ses dispositions à chasser. Il est donc dans sa nature de consommer de la viande. Il y trouve de nombreux nutriments d’intérêt : les acides aminés issus des produits animaux sont totalement équilibrés par rapport à ses besoins et mieux assimilés, comparés à ceux issus des végétaux.

 

Les produits carnés apportent également des lipides, des vitamines et minéraux, en particulier le fer héminique dont la biodisponibilité est meilleure que celui des végétaux, le zinc (également plus biodisponible) et les vitamines du groupe B.

 

Un régime alimentaire sans viande peut-il être équilibré ?

 

Un régime qui apporte des produits d’origine animale mais pas de viandes (végétarien) peut tout-à-fait être équilibré. En revanche, un régime qui exclut tous produits animaux (végétalien) comporte beaucoup plus de risques pour la santé, avec des déficiences voire carences en certaines vitamines et minéraux (vitamine B12 en particulier). De plus on ne connaît pas les effets portant sur plusieurs générations de personnes ayant une telle pratique alimentaire.

 

Consomme-t-on trop, suffisamment ou pas assez de viande en France ?

 

Les recommandations actuelles sont de l’ordre de 120 à 130 g par jour en moyenne. Il n’est pas conseillé de consommer de la viande tous les jours, encore moins d’en mettre au menu deux fois par jour.

 

Les enquêtes alimentaires récentes menées en France montrent qu’un adulte consomme environ 140 g par jour de viande. La tendance est à la baisse puisqu’en 1999, la moyenne était de 165 g par jour. On se rapproche donc des recommandations des nutritionnistes. Cela dit, ces chiffres restent des moyennes et certaines catégories de la population en consomment plus et d’autres moins. Les femmes par exemple ont une consommation légèrement inférieure (de 10 g en moyenne). Les personnes âgées sont de petits consommateurs, à cause des problèmes de mastication mais aussi pour des raisons financières.

 

Quel est l’impact des différents modes de cuisson des viandes sur la qualité nutritionnelle de celles-ci ?

 

Une viande crue est plus riche en eau qu’une viande cuite et au cours de la cuisson certains éléments peuvent être détruits ou altérés. Néanmoins il reste recommandé de cuire la viande même si aujourd’hui le risque microbiologique lié à la consommation de viande crue est bien maîtrisé.

 

Le fait de cuire une viande va entraîner une perte en eau et à un degré moindre en matières grasses et en protéines. Cela va donc entraîner une certaine concentration de ces nutriments. Lacuisson, comme pour les végétaux, va détruire certaines vitamines et modifier la trame de collagène, ce qui va rendre la viande plus tendre. Certains modes de cuisson comme le barbecue vont particulièrement dessécher la viande et créer des composés peroxydés qui peuvent être cancérigènes si la consommation est régulière et importante. De la même manière, les plats en sauce sont particulièrement riches en ces composés nocifs car le gras qui s’extrait de la viande lors de la cuisson va s’oxyder au contact de l’air.

 

En fait la recherche en France commence tout juste à s’intéresser à l’impact des modes de cuisson sur la qualité nutritionnelle. Cela a été beaucoup plus étudié dans d’autres pays comme le Québec par exemple. Des programmes sont aujourd’hui en train de se mettre en place, visant à déterminer les procédés de cuisson qui permettraient d’obtenir une viande à la fois plaisante d’un point de vue gustatif et intéressante sur le plan nutritionnel. L’objectif est d’identifier les meilleurs compromis entre plaisir et santé.

 

« La relation est directe entre ce que mange l’animal et ce qui se dépose dans la viande : si l’on apporte du C18 :3 (n-3) dans l’alimentation, c’est ce même acide gras que l’on retrouvera dans le muscle. »

 

Comment peut-on améliorer la qualité nutritionnelle d’une viande ?

 

  • Les facteurs d’élevage ont un impact très important sur la qualité nutritionnelle, essentiellement sur la fraction lipidique puisque la fraction protidique varie très peu (tout au mieux l’alimentation permettra d’augmenter la teneur en muscles, mais pas la teneur en protéines).
  • Parmi ces facteurs, il y a d’abord la génétique : il est possible de sélectionner des animaux qui déposent plus ou moins de graisse.
  • L’environnement climatique a également une influence sur le métabolisme lipidique : les animaux qui vivent en plein air vont avoir tendance à produire plus de tissus adipeux, car ceux-ci isolent du froid. La proportion d’acides gras insaturés va également être plus importante car ils favorisent les échanges cellulaires.
  • Il y a enfin et surtout l’alimentation qui joue un rôle clé dans la qualité nutritionnelle de la viande, en particulier chez les monogastriques (porc, lapin, volailles). La relation est directe entre ce que mange l’animal et ce qui se dépose dans la viande : si l’on apporte du C18 :3 (n-3) dans l’alimentation, c’est ce même acide gras que l’on retrouvera dans le muscle.

Qu’est-ce qui distingue les viandes rouges des viandes blanches ?

 

On classe les viandes selon leur couleur : sont considérées comme viandes rouges le bœuf, le cheval, le magret de canard et comme viandes blanches le veau, le porc, le mouton, le lapin et les volailles. Cela dit, la notion de viande rouge ou blanche varie selon les pays. En France, le porc et le veau sont qualifiés de viandes blanches alors qu’ailleurs, seules les volailles entrent dans cette catégorie.

 

Toutes les viandes se valent-elles pour leurs apports en fer héminique ?

 

D’une manière générale, les viandes rouges sont beaucoup plus riches en fer que les viandes blanches. Ceci s’explique par leur plus grande richesse en myoglobine, principal pigment qui colore la viande (l’hémoglobine résiduelle ne représente qu’environ 5 à 10% des pigments totaux).

 

La myoglobine possède un groupement héminique responsable de la fixation de l’oxygène. Elle est plus ou moins présente dans la viande selon l’animal, son âge, son mode d’alimentation et le type de muscle : les muscles oxydatifs, qui utilisent les lipides, sont en principe plus riches en fer que les muscles glycolytiques, qui utilisent le glycogène. Ainsi la teneur en fer de la viande de bœuf varie de 2 à 3,5 mg / 100 g selon le muscle considéré.

 

La viande la plus riche en fer est le cheval. Les abats (foie, langue, rognons notamment) sont également très intéressants de ce point de vue. A cet égard il est dommage que leur consommation diminue car ils apportent aussi beaucoup d’autres vitamines et minéraux.

 

Une consommation importante de viande rouge et de charcuterie augmenterait le risque de développer certains cancers (côlon notamment). Qu’en est-il au juste ?

 

D’après les conclusions du Fond mondial de recherche contre le cancer (récemment reprises par l’INCa et le réseau NACRe), la relation entre viande rouge ou charcuterie et cancer colorectal est convaincante. Parmi les causes possibles de ces liens, les chercheurs citent la présence de graisses saturées et de fer, tous deux présents dans la viande rouge et dans certaines charcuteries. Sont également mentionnés les composants mutagènes tels que les hydrocarbures aromatiques ou les hétérocycles générés par une cuisson importante ou à haute température.

 

Des études sont en cours pour essayer de relativiser le risque lié uniquement à une consommation excessive de viandes rouges. Je pense qu’il ne faut pas la diaboliser mais prôner un équilibre en termes de quantité et de qualité : consommer également des viandes blanches, des œufs, du poisson, des fruits de mer…

 

Quelle viande ou partie de viande privilégier quand on veut limiter ses apports en lipides ?

 

La plus grande partie des graisses est généralement visible : pour limiter ses apports en lipides, il suffit de ne pas consommer la couenne du jambon, la barde du rôti, la peau du poulet ou la graisse des lardons. On décrie beaucoup les charcuteries mais le jambon découenné par exemple est une charcuterie très maigre et est même conseillé dans le cadre de régimes.

 

Que pensez-vous du développement actuel de l’offre en viandes et charcuteries riches en acides gras insaturés ?

 

Avec les animaux issus de la filière lin, la quantité d’oméga 3 est multipliée par 3 ou 4 par rapport aux viandes standards : la consommation de ces produits peut donc contribuer de manière significative à rééquilibrer le rapport oméga 6 / oméga 3.

 

L’efficacité de la supplémentation de l’alimentation des animaux est supérieure chez les monogastriques par rapport aux ruminants, dont le fonctionnement digestif conduit à l’hydrogénation d’une partie des acides gras insaturés consommés. Par ailleurs, il faut être attentif à la nature de la supplémentation : les graines de lin utilisées dans la filière Bleu Blanc Cœur par exemple ont été sélectionnées pour leur richesse en oméga 3, mais il existe sur le marché plus de 190 variétés de graines qui ne présentent pas toutes cette caractéristique. Il existe d’autres sources d’oméga 3 (colza, chanvre) mais comme leurs teneurs sont moins élevées, la supplémentation est moins efficace. Elle reste quand même intéressante par rapport à d’autres graisses comme l’huile de palme, fortement utilisée en nutrition animale.

 

Les viandes issues de l’agriculture biologique ont-elle une qualité nutritionnelle supérieure ?

 

Cela n’a pas été démontré (cf. rapport AFSSA 2003). Aujourd’hui nous connaissons très bien les besoins des animaux et savons optimiser les apports alimentaires en fonction de la production recherchée. Le problème des animaux bio est qu’ils ne bénéficient pas d’un certain nombre de supplémentations adéquates car elles ne sont pas autorisées dans le cadre réglementaire actuel. De ce fait, leur croissance et leur développement apparaissent souvent plus hétérogènes qu’une production standard.

 

Cela dit, la viande AB est parfois un peu plus riche en oméga 3 lorsqu’elle est obtenue avec un régime à prédominance d’herbe, ce qui est souvent le cas. Cependant, cela n’est pas l’apanage de l’agriculture biologique car il en est de même pour tous les animaux nourris aux fourrages verts ou au pâturage.

 

Pour conclure ?

 

Je dirais qu’il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises viandes, chacune a ses qualités propres et il convient d’alterner entre les viandes rouges et les viandes blanches, les différents types de muscles et les différents types de cuisson. On peut également recommander la ré-intégration des abats au régime alimentaire pour leur grande richesse en vitamines et minéraux, fer en particulier. Enfin, la supplémentation de l’alimentation des animaux en oméga 3 a prouvé son efficacité pour améliorer le profil lipidique des viandes : la consommation de viandes naturellement enrichies en oméga 3 ne peut donc qu’être encouragée pour rééquilibrer l’alimentation en ces précieux acides gras.

 

Propos recueillis par Céline Le Stunff, LRBEVA Nutrition dans le cadre de la lettre nutrition du Pôle de Compétitivité Valorial en avril 2009.