Quel est l’intérêt nutritionnel des insectes ?

9 novembre 2015
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Rudy Caparros Megido est Assistant de recherche à l’Unité d’entomologie fonctionnelle et évolutive – Gembloux Agro-Bio Tech, Université de Liège (Belgique)

Où consomme-t-on des insectes dans le monde ?

Les insectes sont consommés dans le monde entier avec un nombre d’espèces consommées (jusqu’à 300 différentes) plus important en Amérique centrale et du sud, en Asie et en Afrique centrale. En Europe et en Amérique du nord, la consommation est faible avec un nombre d’espèces consommées avoisinant la dizaine. D’une manière plus globale, nous consommons 2000 espèces d’insectes sur les 1,3 million d’espèces connues.

Rudy Caparris Megido, assistant de recherche à l'Unité d'Entomologie de Liège

Quels sont les insectes les plus consommés à l’échelle de la planète ?

Les insectes les plus consommés sont les coléoptères ou scarabées (30 % des espèces consommées comme les vers de palmier Rhyncophorus sp ou les ténébrions /vers de farineTenebrio molitor) et les lépidoptères ou papillons (20 % comme les chenilles du karité Cirina butyrospermi ou les chrysalides de vers à soie Bombyx mori).

 

Réglementairement parlant, l’Europe considère que ce sont de nouveaux aliments. La Belgique a néanmoins pris la liberté d’autoriser certaines espèces sur son territoire. Quelles sont-elles, et pourquoi ces espèces en particulier ?

L’Afsca (le penchant belge de l’Anses) a décidé d’autoriser 10 espèces d’insectes en se basant sur celles disponibles actuellement sur le territoire. Il faudrait adapter cette liste car certaines espèces ne s’y trouvent quasiment pas alors que d’autres sont consommées sur les marchés africains et ne se trouvent pas dans la liste. Je pense que le but était d’éclaircir les choses rapidement et de prendre les devants. Il n’y a pas de règles particulières établies actuellement en dehors des règles d’hygiène usuelles pour toute production et commercialisation d’aliments.

 

La Suisse (hors UE) pense quant à elle faire autoriser 3 espèces seulement, pourquoi ?

Ces espèces sont le ver de farine (Tenebrio molitor), le criquet migrateur (Locusta migratoria) et le grillon domestique (Acheta domestica). Ce sont les 3 espèces les plus élevées et les plus vendues actuellement en Europe. Ce sont également les espèces les plus « faciles » à élever et qui ont un avenir prometteur dans le développement de l’entomophagie.

 

Avaler un insecte répugne pas mal de personnes, mais leur goût est-il acceptable ?

Effectivement, l’acceptabilité de l’insecte entier est faible mais, dans notre première étude (Caparros Megido et al., 2014), les personnes (de 19 à 45 ans) ayant goûté des insectes entiers et cuits (vers de farine et grillons) étaient ouvertes à consommer des insectes dans le futur (85%) et même à les cuisiner chez elles dans le futur (62,5%). Le goût est tout à fait acceptable puisqu’il est assez faible chez le ver de farine et le grillon, mais c’est surtout la texture qui est importante. Les gens n’aiment pas les insectes bouillis puisqu’ils restent mous et donc coulants à la dégustation car remplis d’eau (ce que nous appelons l’effet « mon chéri »). Les insectes cuits au four donnent une texture plus croustillante. De plus, les arômes révélés par cette cuisson sont proches de ceux obtenus par torréfaction, avec des notes de fruits secs (noisette, amande…). Finalement, plus l’insecte est gros, et plus il a du goût. Les criquets migrateurs sont les plus goûtus des 3 espèces proposées par la Suisse, par exemple, mais leur taille et leur allure (tête, antennes et pattes assez imposantes) sont plus difficiles à accepter pour une première dégustation. Nous réalisons également des études sur l’acceptabilité de produits transformés à base d’insectes ; c’est pourquoi nous avons développé un burger à base de vers de farine et de lentilles (Caparros Megido et al., 2015b, sous presse). Ce produit a été évalué par des personnes âgées de 18 à 25 ans et a été classé de manière intermédiaire entre un burger de boeuf et un burger végétal. Ceci montre que nous pourrions aboutir à des substituts de viande à base d’insectes ayant une meilleure acceptabilité que les steaks végétaux.

 

De manière générale, que peut-on dire de la qualité nutritionnelle des insectes ?

Chaque espèce comestible possède un profil nutritionnel qui lui est propre, avec néanmoins certaines tendances en fonction des groupes étudiés. A titre d’exemple, les larves de coléoptères (scarabées) ou de lépidoptères (papillons) sont généralement riches en graisses, alors que les larves d’orthoptères (criquets et sauterelles) sont plutôt riches en protéines et pauvres en lipides. Dans le cadre d’une alimentation équilibrée intégrant régulièrement des insectes, il faudrait donc veiller, comme pour tout autre aliment, à varier les espèces consommées. De manière plus détaillée, les insectes possèdent des teneurs en protéines allant de 40 à 70 % du poids sec en fonction des espèces. Ces protéines sont considérées à haute valeur biologique puisqu’elles sont hautement digestibles et particulièrement riches en acides aminés essentiels. L’intérêt nutritionnel de l’insecte ne réside cependant pas uniquement dans sa teneur en protéines. Bien que contenant certains acides gras saturés (jusqu’à 20 %), ils sont en effet riches en acides gras monoinsaturés et polyinsaturés, avec des valeurs égales à celles du poisson et supérieures à celle de la viande pour certaines espèces. Les insectes peuvent contenir des quantités non négligeables d’oméga 3. La composition nutritionnelle des insectes étant fortement dépendante de leur nourriture, il a été démontré que des diètes enrichies en oméga 3 et pauvres en cholestérol permettaient de produire des animaux ayant le même profil lipidique que leur régime alimentaire. Les insectes sont également riches en sels minéraux comme le fer, le cuivre, le magnésium ou le zinc mais également en vitamines comme les vitamines B2, B5 et B12. De plus, vu les faibles quantités de sodium présentes dans les insectes, leur utilisation dans des régimes à faible teneur en sel est envisageable. Finalement, les insectes sont également riches en fibres puisqu’ils sont composés de 5 à 20 % de chitine, un polysaccharide constituant essentiel de leur exosquelette, non digestible par l’homme.

 

Les insectes comportent-ils des facteurs antinutritionnels ?

Effectivement, une espèce (un ver à soie africain Anaphe venata, non consommé en Europe) a montré la présence d’une thiaminase (enzyme dégradant la thiamine ou vitamine B1). Néanmoins, cet enzyme est dégradé à la cuisson donc il suffit de bien cuire les insectes. La littérature ne mentionne aucun autre cas.

 

Contiennent-ils des pesticides, métaux lourds et/ou autres toxiques ?

Des insectes prélevés dans la nature peuvent bioaccumuler toutes sortes de toxiques provenant de leur nourriture ou de leur environnement. De plus, certains insectes sont toxiques par nature. Nous conseillons la consommation d’animaux issus d’élevages contrôlés, européens de préférence.

 

Peuvent-ils, en tant qu’aliments, être vecteurs de maladies transmissibles ?

Les insectes sont fortement éloignés de nous du point de vue de l’évolution (par rapport au porc ou aux bovins qui sont des mammifères) : très peu de risque de transmission de virus par exemple. Concernant les parasitoses, très peu de cas connus si ce n’est en Asie du Sud-Est avec des insectes consommés crus impliquant des parasites locaux non retrouvés en Europe. Nous préconisons toujours une cuisson des insectes et aucun cas n’a été recensé en Europe de parasitose ou autre.

 

Pourraient-ils provoquer des réactions d’allergie alimentaire ?

Effectivement, il faut toujours prévenir les personnes potentiellement allergiques aux crustacés et aux acariens d’un risque d’allergie croisée, car ces organismes sont des arthropodes et ont en commun plusieurs molécules allergisantes comme la chitine ou l’arginine kinase.

 

Les produits que l’on trouve actuellement sur internet présentent-ils une sécurité sanitaire suffisante ? S’agit-il d’animaux d’élevage ou sauvages ?

Lorsque les insectes sont originaires d’Europe, ils sont d’élevage. Hors Europe, à part les vers de farine, grillons et criquets, tout le reste est prélevé dans la nature avec les risques de produits toxiques potentiellement accumulés comme dans tout aliment sauvage. Néanmoins, ces insectes ont souvent subi une cuisson ou un séchage préalable réduisant les risques microbiologiques dûs à des problèmes de stockage par exemple. Il faut considérer les insectes comme tout autre aliment et appliquer les normes d’hygiène en vigueur en Europe. Pour plus d’informations sur les risques encourus lors de la consommation d’insectes, on peut se référer àl’avis de l’Anses publié cette année, ainsi qu’à la synthèse bibliographique sur laquelle s’est basé cet avis (Caparros Megido et al., 2015a, sous presse).

 

Depuis 2008 la FAO recommande le développement de l’entomophagie. Cela vise les pays en manque de nourriture, ou l’ensemble du monde ? Quel est l’intérêt de manger des insectes pour les consommateurs occidentaux ?

Les mini-élevages locaux d’insectes concernent les pays en développement en manque de protéines animales. En Europe, nous en avons assez et nous ne serons pas les premiers à en manquer, bien que leur prix risque d’augmenter dans les années à venir. Le but est de produire des protéines animales de qualité à un prix concurrentiel par rapport à la viande. De plus, il faut tenir compte de l’impact environnemental des productions: l’élevage d’insectes est moins demandeur en eau, émet moins de gaz à effet de serre (du moins pour le ver de farine et le grillon) et les insectes ont un meilleur taux de conversion de la nourriture que le bétail classique : avec 10 kg de nourriture, on produit 1 kg de boeuf, 5 kg de poulet et 7 à 9 kg d’insectes. Dès lors, pourquoi ne pas intégrer les insectes à notre alimentation occidentale? L’impact écologique de notre alimentation en serait diminué, tout en continuant à consommer des viandes de qualité, mais moins souvent.

 

Quels conseils donner à ceux qui souhaiteraient en déguster par curiosité, même si c’est interdit sur le papier !?

Pour le goût, je conseille les vers de palmier qui sont délicieux sous forme séchée, cela rappelle la viande grillée. Pour les moins téméraires, je conseille d’essayer les snacks apéritifs à base d’insectes grillés, mais leur prix est encore exorbitant à mon sens ! Ou de commander des produits déjà préparés comme les tapenades ou des pâtes. Il faudra attendre encore un peu (adaptation de la législation et augmentation de la demande) pour voir débarquer les insectes frais ou congelés dans les supermarchés. Mais des livres de cuisine existent déjà, comme celui que j’ai édité : « Six pattes et si délicieux. Les insectes dans nos assiettes ».