Rapports au temps des collaborateurs et des consommateurs : conséquences sur le management et les relations aux produits/marques

10 janvier 2018 par Catherine Lejealle
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Qu’il s’agisse des collaborateurs ou des clients, les entreprises peinent à les fidéliser et à répondre à leurs attentes d’immédiateté et de nouveauté. Quel nouveau rapport au temps entretiennent-ils et comment en est-on arrivés là ? Quelles solutions peut-on envisager pour les engager sur un temps long ? Trois générations avec trois valeurs

On entend souvent que les jeunes générations sont zappeuses, impatientes, infidèles, désireuses de nouveauté et incapables de se projeter et s’investir dans un temps long. Elles seraient dans la tactique et le temps présent, sans pouvoir penser stratégie et effort d’implication sur le long terme.

Si ceci est globalement vrai et relativement aux générations précédentes, il importe de rappeler que ces jeunes générations vivent un cycle de vie qui est la jeunesse, que cette étape est dédiée aux expériences, au désir de tout tester dans une quête identitaire pour se trouver. Ce qu’on rappelle moins c’est que cet âge s’inscrit toujours dans un contexte socio-technique particulier qui rend possible une certaine vitesse. A cette aune, on comprend mieux que la génération X soit la génération du 48H chrono de La Redoute et que celle d’aujourd’hui soit celle du 2h click and collect chez Darty. La génération X n’était pas plus bête, simplement elle avait intégré que la limite de l’époque en matière de délais de livraison était de deux jours.

 

Ces contextes socio-techniques induisent des valeurs pour les trois générations que reprend le tableau suivant :

Génération X Génération Y ou Millennials Génération Z
Les dates de naissances Entre 1960 et 1980 Entre 1980 et 1995 Après 1995
L’environnement technique et format narratif Courrier papier, téléphone, puis téléphone portable et SMS coûteux, l’écrit Facebook, MSN, forfaits 1h d’appel et SMS illimités (le SMS a 25 ans en décembre 2017) donc sociabilité interpersonnelle, Rock en Seine, flashmob, les SMS et chats et messages privés Youtube, Snapchat, image et vidéos, youtubeurs et influenceurs, eBay, Airbnb, Blablacar, Uber,  l’économie collaborative, Tinder
Les valeurs respect hiérarchie, valorisation de l’expérience, temps long, apprentissage comme processus d’acquisition de compétences, fidélité CDD, liberté, DIY, précarité mais acceptée comme liberté, pas d’engagement Liens vers inconnus pour satisfaire tout besoin immédiatement, le portable conjugué à la géolocalisation

Ainsi, les attitudes et comportements des collaborateurs et consommateurs résultent d’un contexte d’explosion des usages : réseaux 4G et wifi de qualité, forfaits illimités, information partout disponible. L’attention est devenue la ressource rare à capter et conserver. La communication s’est inversée : avec l’empowerment, ils veulent être entendus et pris en compte. La valeur n’attend pas le nombre des années.

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Le rapport au temps des collaborateurs

Le rapport au temps des collaborateurs se décline autour de trois axes :

Temps court et opportunisme
  • Pas évaluation annuelle mais feedback régulier et immédiat
  • Peur de s’ennuyer donc demande de nouveauté
  • Reste tant qu’y trouve son compte, mais comment capitaliser sur eux ?
  • Engagement mou « slack » comme la nouvelle messagerie instantanée
Remise en cause de la hiérarchie, reconnaissance
  • Evaluation 360 ° et Shadow Comex chez AccorHotel
  • Des outils de travail performants et innovants (VR, serious gaming…)
  • Gratifications immédiates et régulières
Equilibre vie privée et professionnelle et quête de sens
  • Des outils de travail performants permettant l’autonomie d’organisation
  • Veut comprendre et n’obéit pas mais participe, collabore
  • Se voit comme un partenaire appartenant à un réseau et pas comme un salarié dans une hiérarchie => co création, open innovation, empowerment

 

Ceci se traduit par des petites phrases qu’il faut décoder. Le « fais-moi confiance » signifie « Ce n’est pas parce que je viens d’arriver que je ne mérite pas la confiance. Faire ses preuves ? A quoi bon, quand l’environnement change tellement vite. Vos 20 d’expériences ne pèsent rien car le contexte est autre… au contraire, vous ne maîtrisez pas les nouveaux outils comme moi ! » Et « je pense qu’on devrait faire comme cela » résonne comme « J’ai vu cette solution et on devrait l’adopter les yeux fermés. Pourquoi voulez-vous en chercher d’autres, les comparer, les hiérarchiser avant de prendre une décision ? On teste et si ça ne marche pas, il sera temps de changer ! Test & learn, de l’action, de la tactique… » Ils veulent du fun et qu’on leur donne les moyens de faire dans une vision pragmatique de l’essai et de la sérendipité sans prévoir un chemin long et le jalonner.

En 1973, Henri Mintzberg publiait « The Nature of Managerial Work » déclinant le contenu du travail des cadres dirigeants via analyse des agendas. Les trois missions du cadre qu’il montre sont remises en cause avec le travail en réseau, les mails qui font circuler l’information directement. S’il ne s’adapte pas aux nouveaux modes de travail et attentes des Y et Z, le cadre risque d’être ubérisé.

 

Le rapport au temps des clients

En 1899, Théodule Ribot décrivait la fidélité selon deux axes : temps et intensité. Notre collaborateur est aussi client, citoyen et potentiel capitaliste investissant dans l’entreprise. Son comportement est identique dans toutes ces sphères. Il vit au temps présent, oublie le passé et les bonnes expériences avec la marque et ne pense pas le futur si bien que la fidélité qui relie ces trois temporalités n’est pas un concept qui lui parle. Pour l’attirer, il faut lui offrir une expérience de valeur incluant gain de temps, d’argent, fun, valorisation de l’ego ou partage social. En l’engageant via des contenus intéressants, des parcours fluides et réenchantés, on capte son attention (il voit), gagne son assentiment (il Like) et sa reconnaissance (il partage et recommande).

 

Conclusion

On constate que la technologie induit ces changements de comportements : chaque génération vit chaque tranche d’âge de son cycle de vie dans un contexte socio-technique donné. Pour la génération actuelle, le mobile avec géolocalisation constitue un doudou présent H24, capable de dénicher en permanence quelqu’un pour satisfaire une envie, envoyer une notification pour rassurer sur sa valeur ou encore appâter via un contenu pushé pour distraire.

Mais cette survalorisation de la récence du post par les dispositifs techniques représente aussi une menace pour la permanence ontologique. Comment se construire lorsqu’on vous incite à vous renouveler continuellement et à fragmenter vos posts pour publier souvent ? Cette imbrication socio-technique représente un grand défi culturel pour les entreprises et les marques, tout particulièrement pour la R&D qui doit s’envisager sur un temps long, après avoir étudié toutes les solutions et non du Test&Learn avec sérendipité ?