Céline Laisney est directrice d’Alim’Avenir cabinet de veille, tendance et prospective de l’alimentation.
Bonjour Céline, de quoi allez-vous nous parler lors du colloque Valorial ?
Je m’intéresse aux comportements de consommation émergents. La question de fond est de savoir si les comportements émergents identifiés vont rester des comportements de niches ou au contraires s’ils vont s’élargir à des ensembles de population plus larges.
Aujourd’hui par exemple, en lien avec le sujet des protéines, nous observons, en Europe, à travers les chiffres de la consommation de viande, une très nette tendance à la décarnisation de l’alimentation.
Les flexitariens sont des personnes qui mangent moins de viande. Soit elles réduisent les portions, soit elles consomment davantage de repas sans viande, soit elles ne mangent plus de viande à la maison mais en consomment à l’extérieur, au restaurant ou chez des amis. Globalement, c’est une posture plus souple que le végétarisme.
Il y a plusieurs études européennes récentes permettant d’évaluer le nombre de personnes concernées par le végétarisme et le flexitarisme. Ce sont des enquêtes consommateurs internationales. Il faut rester prudent car les comparaisons sont toujours très difficiles, mais globalement, les proportions augmentent dans la majorité des pays observés. On passe ainsi de 2% à 4% de végétariens au Pays Bas, en Italie ou au Royaume-Uni. On relève aussi que la proportion est plus forte chez les 18-24 ans, avec près de 20% de végétariens.
Pour la France, nous manquons malheureusement de données récentes et fiables. Selon les dernières enquêtes la France comptabiliserait entre 2% et 3% de végétariens et environ 38% de flexitariens. Mais nous pouvons utiliser d’autres sources pour évaluer le phénomène comme le nombre de restaurants végétariens, les recherche Google ou l’évolution des cartes des restaurants.
On relève aussi que l’offre en simili-viande s’étoffe. Les industriels ont compris qu’il fallait offrir des produits qui s’adaptent aux modèles alimentaires existants. Il est ainsi désormais possible de devenir végétariens sans véritablement changer ses habitudes alimentaires. Aux Etats-Unis, en Allemagne ou au Pays-Bas, on trouve des alternatives à la viande qui viennent adopter la culture culinaire : des saucisses en Allemagne, des burgers aux Etats-Unis…
Attention, car il ne s’agit ici que d’un seul facteur. Dans notre démarche prospective nous identifions les différents facteurs : l’offre, mais aussi la dimension économique, politique, idéologique, l’effet générationnel …
Nous essayons d’identifier les motivations. C’est-à-dire pourquoi certaines personnes passent au végétarisme ou au flexitarisme ? Cela varie selon les pays, mais on voit que la sensibilité au bien-être animal est l’une des principales raisons dans les pays nordiques et anglo-saxons. Cette tendance pourrait bien arriver en France et prendre rapidement de l’importance dans l’avenir. Il y a bien sur aussi des considérations de santé car la surconsommation de viande est aujourd’hui associée à des problèmes cardiovasculaires ou de cholestérol.
Enfin, on retrouve les considérations environnementales, au travers de l’impact climatique de l’élevage (la production de viande entraine en effet d’importants dégagements de méthane) et de la consommation de ressources (céréales, eau).
Le flexitarisme est-il une mode ?
Le terme «flexitarisme» est une notion qui existe depuis 3 ans environ. Le terme est repris de l’anglo-saxon «flexitarian» inventé en 2003. L’expression a pris de l’ampleur, on retrouve un nombre croissant d’occurrences dans l’historique des moteurs de recherche internet ainsi que de plus en plus de blogs et de livres de cuisine consacrés au sujet. C’est une tendance qui semble durable.
Sur la base de vos constats, quelles recommandations pourriez-vous formuler pour l’industrie agroalimentaire ?
Les comportements changent durablement. Il y a des décisions à prendre pour la filière viande. Au risque de manquer d’originalité, je dirais qu’il est essentiel de s’orienter vers plus de qualité.
C’est aussi une démarche pragmatique de la part des consommateurs. Chez les flexitariens, la dimension économique entre en jeu car la viande reste un important poste de dépense dans le budget alimentaire. Cet argument incite les consommateurs à manger moins souvent de la viande, mais aussi à manger de meilleurs produits. Ils recherchent un équilibre entre la quantité et la qualité.
L’exemple de l’industrie du vin est intéressant. La consommation moyenne de vin par habitant a beaucoup baissé depuis 40 ans. Mais on boit aujourd’hui du vin de meilleure qualité, plus cher et qui s’exporte très bien. Les producteurs ont fait des efforts pour réviser leurs stratégies. Cette transition ne s’est pas faite sans casse. Alors que certains acteurs ont disparu, d’autres ont émergé. Cette transition a aussi fait l’objet d’un accompagnement de la part des pouvoirs publics.
Pour la viande, on a parfois l’impression de faire face à une succession de mesures d’urgencespour toujours rivaliser sur la rentabilité et sur la compétitivité des entreprises avec des pays comme l’Allemagne voire le Brésil, mais moins sur la montée en gamme.
On voit aussi que les alternatives à la viande les plus intéressantes sont essentiellement développées par des start-ups, et non par les acteurs traditionnels de la viande. Pourtant, à l’image des compagnies pétrolières qui investissent aussi dans les énergies renouvelables pour anticiper l’ «après-pétrole»,
Lorsque l’on voit comment Beyond Meat ou Impossible Food lèvent des centaines de millions de dollars, cela explique qu’ils puissent mettre rapidement leurs produits sur le marché.
Une société comme Hampton Creek par exemple a déjà ses produits référencés dans plusieurs chaines de magasins aux Etats-Unis. Elle a aussi établi un partenariat de grande envergure avec le groupe Compass pour la restauration collective.
Lorsque l’on voit comment ces sociétés essayent par tous les moyens de reproduire la texture de la viande, hémoglobine comprise, on se demande comment cela peut être compatible avec la tendance de recherche de naturalité, de produits simples et non transformés. Finalement c’est assez contradictoire. C’est mieux accepté dans des pays comme les Etats-Unis mais en Europe, ça sera sans doute différent.
En France, nous sommes un peu à la traîne sur ce sujet. Il y a tout de même des sociétés très intéressantes dans le domaine des protéines alternatives, comme Algama qui travaille sur la spiruline et qui met en vente, avec Roquette et Intermarché, une «mayonnaise» végétale (sans œufs).
D’autres nouveaux produits sont intéressants du côté des produits carnés. Charal a ainsi sorti un steak «petit appétit» dont la cible est, entre autres, les séniors. Des produits à texture modifiée sont également mis au point pour les personnes très âgées, qui vivent en institutions et sont souvent dénutries. Ce sont des pistes de recherche très intéressantes car cette demande, avec le vieillissement de la population, va forcément augmenter.